dimanche 14 février 2010

Lettre ouverte à Madame Badinter : oui, on peut être écolo, allaiter et être féministe...


Elisabeth Badinter vient de commettre un réquisitoire violent contre les nouvelles “tendances” de la maternité. Si l’on en croit ce qu’elle écrit, les femmes sont en train de mettre en péril tout le travail des féministes en prônant une forme de retour en arrière lorsqu’elles choisissent des naissances dites « naturelles », d’allaiter, de rester à la maison pour s’occuper de leurs enfants, ou lorsqu’elles ont le malheur de se croire écolos.Madame Badinter se trompe de cible semble-t-il et prend plaisir à faire des amalgames qui ne rendent pas justice à son intelligence.
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Vous me décevez Madame Badinter, vous qui avez été un modèle pour nombre de jeunes filles. Si la condition de la femme se délite, ce n’est ni la faute aux écologistes, ni la faute aux tenants de l’allaitement, c’est de la faute aux habitudes insidieuses et au fatalisme. Depuis quelques temps, on lit d’ailleurs sur nombre de blogs de mamans féministes que ce sont justement ce genre de propos qui sont en train de tuer le féminisme. Au lieu de s’unir pour faire front, les femmes se blâment mutuellement pour le délitement de la condition de la femme dans le monde.
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Voyez-vous Madame Badinter, je fais partie de ces femmes qui ont fait des études prolongées  (dans un domaine d’ailleurs plutôt masculin mais c’est une autre histoire) et qui aujourd'hui passe du temps avec son marmot. J’ai une carrière des plus intéressantes, bien qu’éclectique.  L’année dernière, ma vie à changé du tout au tout lorsque j’ai donné naissance à mon premier enfant. Un enfant désiré, conçu en toute connaissance de cause.  J’ai pris un congé maternité long, comme le droit Canadien me l’accorde, j’avais choisi de donner naissance à la maison, j’allaite encore mon fils et j’ai l’audace de croire que je fais des choix écologiques dans ma vie de tous les jours.  Ces choix ne vont pas à l’encontre de mes idéaux féministes, loin de là. Je milite encore pour le droit à l’avortement, à la contraception, à l’égalité salariale. Je travaille actuellement de chez moi, tout comme mon partenaire qui d’ailleurs passe beaucoup de temps à s’occuper de notre enfant.
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Lorsque j’ai commencé à explorer le monde de la maternité moderne, j’ai découvert des femmes extraordinaires, des féministes exemplaires, des militantes, des guerrières. Nombre de ces femmes que vous fustigez pour avoir choisi de rester à la maison sont loin de l’image que vous dépeignez. Elles montent des entreprises, travaillent à distance, écrivent, militent, poursuivent des études, obtiennent des doctorats. Elles sont créatives et innovatrices. Elles ne passent pas leur journée à attendre le retour de leur mari en écossant des petit pois… Elles sont bien plus indépendantes que vous ne semblez le croire. Elles se sont affranchies des limites posées par un monde du travail encore très machiste et condescendant. Elles n’éprouvent plus le besoin de prouver aux hommes qu’elles peuvent mieux faire qu’eux : elles font mieux. Elles ont compris qu’il n’y avait nul besoin de devenir masculine pour être féministe. Elles prennent parfois le temps de ne pas travailler pour réfléchir, pour prendre du recul et choisir en toute connaissance de cause la suite de leur carrière, osant, parfois, prendre des voies bien différentes.
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Votre dédain pour l’allaitement me semble également infondé.  Allaiter relève du droit de la femme à disposer de son corps comme elle l’entend, au même titre qu’avorter ou choisir son partenaire et son orientation sexuelle. Allaiter devrait rester un choix. Un choix que l’on devrait pouvoir faire sans avoir à s’en excuser. Aujourd’hui il semblerait qu’une femme qui dégrafe son corsage pour nourrir son enfant provoque bien plus de controverse que les brindilles visiblement anorexiques que l’on nous expose nues, sous toutes leurs coutures, à longueur de pages publicitaires, comme autant de morceaux de viande à consommer…
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On peut allaiter et être féministe. On peut allaiter et prendre position. Allaiter,  c’est peut-être  faire la nique à ces multinationales de l’alimentaire qui veulent nous faire croire que nous sommes incapables de pourvoir nous-mêmes aux besoins nutritifs de nos enfants. Allaiter n’est pas cette servitude que vous décrivez. C’est même souvent une libération. Financière d’abord, car on n’a plus à dépenser des fortunes en lait onéreux, en biberons et autres accessoires soi-disant indispensables. C’est aussi une liberté de mouvement : on allaite où l’on veut, quand on veut, nul besoin de prise électrique ou d’eau propre.  Nous voilà bien loin de l’image de la femme confinée chez elle parce qu’elle allaite… Je ne m’étendrai pas sur les bénéfices de l’allaitement pour la santé des enfants ni sur les bénéfices pour la santé de la femme car peu importe finalement, chacune devrait avoir le droit de faire de ses seins ce qu’elle veut et brûler ou non son soutien-gorge si elle le souhaite! Je n’aime pas les ayatollahs qui veulent nous imposer tel ou tel choix.  Et là, Madame, vous ne valez pas mieux que les militantes de la Leche League qui ne jurent que par le nichon, vous qui ne jurez que par le biberon.
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Vous semblez aussi avoir un dédain bien mal placé pour les accouchements dits « naturels ». En quoi cela va-t-il à l’encontre de la libération de la femme? Les pratiques pour le moins patriarcales du milieu médical devraient pourtant vous donner envie d’aller défendre les femmes qui font ce choix et rejettent les diktats de ceux qui traitent nos corps comme des morceaux de viande? De plus en plus de femmes qui accouchent sont soumises à des traitements pour le moins inadéquats. Les déclenchements et les césariennes de convenance  arrangent les médecins mais mènent bien souvent à des complications à court et long-terme chez la femme. N’oubliez pas qu’une césarienne reste une intervention chirurgicale lourde et handicape souvent la mère bien plus longtemps qu’un accouchement naturel. Des interventions dites de « routine » mais souvent non-nécessaires comme l’épisiotomie mènent souvent à des troubles sexuels ou de la continence. Oui, la médecine a fait des progrès et oui, certaines interventions sauvent des vies, mais il y a aussi un certain dédain pour le respect de la dignité des femmes, pour le respect de l’intégrité de leur corps. C’est cela qui devrait vous révolter, et non les femmes qui ont choisi de prendre en charge leur propre corps et de lui faire confiance. Cette peur du corps de la femme me rappelle un peu ce que l’on reprochait aux « sorcières » pendant l’Inquisition : une certaine indépendance finalement.
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Vous semblez oublier que les pays européens les plus féministes, comme les pays nordiques, sont aussi ceux où, justement, les femmes font le plus souvent le choix d’accouchements naturels et sans interventions, les pays où les femmes allaitent le plus longtemps. Ce sont aussi des pays qui ont le plus de pères qui prennent des congés et s’occupent de leurs enfants. Les pays où le télétravail se développe le plus. Cela devrait vous mettre la puce à l’oreille. Vous vous êtes bien trompée de cible.
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Les femmes d’aujourd’hui sont à la recherche de l’équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie privée. Elles veulent faire des choses intéressantes et stimulantes, mais aussi avoir du temps pour leurs enfants, pour leurs passions. En investissant du temps dans leurs enfants, elles préparent l’avenir et plantent les graines de nouveaux mouvements sociaux, de nouvelles révolutions. Elles ne « renoncent » pas, elles bandent leurs  muscles pour de nouveaux combats.
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 Ne pensez-vous pas que ce vieil idéal du « sacrifice » de sa vie de famille au profit de sa vie professionnelle que vous semblez défendre rappelle un peu trop cette tradition religieuse que vous décriez tant ?
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Je n’argumenterai même pas le bien-fondé d’un mode de vie plus écologique. Je crois qu’il n’y a là aucune matière à débat. Regarder vers l’avenir et le prendre en compte me semble bien plus important que de perpétuer un mode de vie consumériste, obsolète et voué à la l’échec. Certaines des plus grandes féministes de ce siècle sont d’ailleurs des écologistes. Des femmes qui comme Wangari Maathai ou Vandana Shiva,  luttent pour préserver notre environnement et servent de modèles aux femmes qui prennent en charge leur vie et leurs communautés.
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Je ne comprends pas en quoi ces femmes qui prennent en main leur vie, leur santé, leur corps, leurs enfants et leur environnement au mépris des habitudes éculées d’une société aux mœurs encore trop étriquées vous chiffonnent tant. Je suis persuadé que de profonds changements sociaux découleront des choix de ces femmes. Respecter leurs choix, c’est respecter leur indépendance, c’est leur donner une chance de guérir les blessures qui sont infligées chaque jour au féminin avec un grand F, c’est peut-être même leur donner une chance de réparer un peu le tissu social qui part en lambeaux dans bon nombre de nos sociétés.
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Je veux croire que votre coup de gueule partait d’une révolte bien intentionnée, mais je reste déçue de tous ces amalgames infondés et ces jugements à l’emporte-pièce. Ne tirez plus sur l'ambulance, si c'est la conception traditionnelle de la maternité qui vous chiffonne, soutenez donc ces femmes qui sont en train de réinventer la maternité et leurs compagnons qui réinventent la paternité, vous seriez peut-être surprise du résultat...
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Et puis, ne croyez-vous pas qu’il y ait des combats plus urgents à mener, comme cette égalité salariale qui n’est encore qu’un mythe en France? Ou l’éducation de ces jeunes filles soumises à une pression intolérable pour conformer leur corps à une image bien trop futile pour être honnête?


Quelques réactions aux propos d'Elisabeth Badinter:

Une chercheuse américaine répond à Elizabeth Badinter ici.
Une autre éthologue pousse son coup de gueule ici.
Pour qui pédale Badinter ou l'art du hors-sujet par une féministe sur Rue89

3 commentaires:

Lyjazz a dit…

Tout à fait d'accord avec l'intégralité de ton commentaire.
Sauf un point : les animatrices LLL ne sont pas "pour le nichon à tout prix". Chaque animatrice que j'ai rencontré disait que toutes les femmes doivent pouvoir choisir. Elles sont là pour aider lorsqu'un allaitement pose problème, c'est tout. Moi-même qui ai participé à beaucoup de réunions, j'ai toujours encouragé les femmes à prendre leur décision seule.

Loutron Glouton a dit…

Bonjour Lyjazz
J'ai malheureusement rencontré des animatrices très extrémistes à ce sujet et quelques unes de mes amies ont eu des expériences malheureuses également. C'est comme partout, il y certainement une majorité de bonnes animatrices et quelques mauvaises...

Lyjazz a dit…

Oui, évidemment, c'est comme dans tous les groupes, il y a des extrémistes partout.
Mais je tenais à rectifier parce que c'est quand même l'image de la LLL, présente dans beaucoup de pays, qui est en cause.
On doit pouvoir trouver de bonnes et de moins bonnes animatrices dans toutes les autres associations qui concernent l'allaitement.

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